"Tu es comme moi. Vieux et sans abri." dit l'homme à l'éléphant.
Une fois n'est pas coutume, c'est de cinéma qu'il est question ici. À l'origine, peut-être cette phrase. Ou bien le retour vers les vertes montagnes, loin des furies urbaines. Ou tout simplement l'éléphant.
Dans les rues de Bangkok, Thana croit reconnaître celui qu'il a recueilli dans son enfance et qui a grandi avec lui. L'âge est là, et ses désillusions : couple fatigué, œuvre dévalué, renommée piétinée par de jeunes ambitieux. Le célèbre architecte décide de racheter son ami à celui qui l'exploite, et de le ramener au village.
L'histoire ne se raconte pas, elle s'accompagne. Comme tous les road movies, tissée de rencontres et d'aventures, tantôt heureuses, tantôt moins. Parfois consternantes, souvent bouleversantes. Et comme tous les voyageurs, Thana va butter sur des obstacles, sympathiser avec la marge, croiser d'inattendues sollicitudes. En cheminant, l'homme et l'éléphant vont apprendre à se (re)connaître, prenant délicatement soin l'un de l'autre.
Tant de tendresse nous mène où elle veut. Lorsqu'une nuit, dans un bar sulfureux, le voyant en compagnie de policiers, un travesti atteint par la limite d'âge lui demande entre deux verres s'il est flic, Thana de répondre :
- Non.
- Mais alors, qu'est-ce que tu fais avec ces deux-là ?
- Ils ont pris mon éléphant.
Et nul ne bronche à cette phrase, ni eux ni nous, comme si c'était soudain devenu la chose la plus naturelle au monde d'avoir un pachyderme pour animal de compagnie et de se le faire faucher par la police.

"Au pas de l'éléphant", c'est ce qui fait du bien, on le suit dans son lent voyage, drôle et poignant de bout en bout, jamais pesant. Silences nous donnant en partage le poids des âmes, et peu de mots qui suffisent à nous révéler le parcours de l'homme. Ses décisions, leurs conséquences. Voyage initiatique où se bouclent les boucles, vers une vie nouvelle débarrassée des pesanteurs anciennes.
C'est du moins ce que l'on croit comprendre lorsque résonne la voix de Bo sur les dernières paroles du film.
Marie Volta - Octobre 2017
Pop Aye, Un film singapourien-thaïlandais de Kirsten Tan / Bande annonce
Article 12 © La Petite Marguerite