10 ans aujourd'hui !
Toutes les chansons de Georges Brassens, posthumes et inédites comprises, dans l'ordre chronologique.
Idée grandiose de Dimitris Bogdis, avec qui je fondai le festival en 2006. Partie de cette réflexion, que j'avais déjà recueillie chez Guy de Sauvage, qu'on entendait toujours partout les mêmes chansons du poète alors qu'il avait laissé tant d'autres trésors !
À Paris, aucune des mairies d'arrondissement d'abord contactées ne regarda notre dossier. Je demandai à Philippe Vicherat s'il ne connaîtrait pas quelqu'un qui nous ouvrirait au moins la porte de son bureau : ce fut Nadia Prête, dans le 9ème, qui nous ouvrit aussi celle de la salle Rossini (300 places) - nous avions nos deux parrains. Suivis par Jacques Bravo, le maire, et Thierry Cazaux, son adjoint à la culture, qui allaient nous soutenir jusqu'à la fin de leurs mandats, et avec l'approbation de l'unanimité du Conseil municipal.
Cela s'appela d'abord La Semaine Brassens.
Le dimanche 22 octobre 2006, le rideau se leva sur la fête des 85 ans du Sétois et retomba le dimanche suivant, 25 ans après son enlèvement par la Camarde. Entre les deux, près de deux cents chansons.
On n'avait aucune structure officielle, pas de compte en banque ni d'assurance, aucune subvention, pensez bien que la DRAC ne fut pas prévenue, au lieu de chauffage les souffleries pulsaient un air glacé et Lionel Lévêque grelottait sous mon poncho, la salle ne fermait pas à clef, Jean-Marc Roubault et Jean-Pierre Fleury installaient et repliaient la sono chaque soir - par la suite nous posâmes nous-mêmes une serrure d'un côté et une chaîne de l'autre -, avec Dimitris qui l'avait écrite on lisait la vie de Brassens en vers, chacun à un bout de la scène, certain·es interprètes apprenaient les chansons manquantes au fur et à mesure, un chapeau circulait (mal) parmi le public grandissant et tout là-haut sur l'estrade mon fils aîné (10 ans en 2006) comptait les spectateurs et spectatrices - 31 le lundi, jusqu'à 230 le 2ème dimanche -, Claude Lanfranchi filmait, Manu Ronseaux vendait les CD des artistes programmés, Joël Lemeur remplissait le frigo que vidaient parfois les joueurs de cartes de l'après-midi, Martine Lebranchu comptait la monnaie, les lumières du foyer s'éteignaient à 23h en plein after et déjà beaucoup avaient du mal à entendre qu'un employé de mairie, ça a une vie en-dehors du boulot. On finissait en chantant au bistro sur le boulevard puis Paris by night avec Lionel qui commentait.
Mais LA surprise, la vraie belle surprise, ce fut le brasier d'amour et la Présence du grand Georges tangible parmi nous.
Notre intention tenait en cette seule fête. Il parut très vite évident que ce n'était qu'une première, et dès le lundi on put entendre dans les coulisses : "L'an prochain on fera ceci, l'an prochain on fera cela..."
En 2008, lorsque Dimitris quitta la présidence du Grand Pan et que le CA me confia les manettes, on détendit un peu l'ordre chronologique et d'un remue-méninges à deux avec Angelica Bersano (Glika Tchu, qui réalisa aussi discrètement qu'efficacement les affiches et les programmes de 2008 à 2012) naquit le nom qui deviendrait pour tous une évidence : L'Intégrale Brassens. De son petit nom, "L'Intégrale".
L'Intégrale, ce furent chaque année dans mon bureau voyageur des centaines et des centaines d'heures de travail, les réunions tous les deux mois chez Lionel autour de joyeux grignotages, toute la famille et quelques ami·es à contribution pour les menues tâches de l'ombre, la visite au concert quand on nous signalait un·e interprète, jusqu'à 220 chansons à répartir entre 24 à 30 d'entre elles et eux, leurs musiciene·s à intégrer dans la gestion, le programme à peaufiner pour en faire de vrais spectacles et pas du Brassens au kilomètre, une dizaine de bénévoles et les acteurs municipaux à coordonner, plus de 2000 spectateurs en 9 soirs d'affilée, la déferlante inattendue, un soir de 2009, de 400 personnes salle Rossini (dont 100 sur les chaises ajoutées et marches d'escalier), plus de 80 convives pour 40 places un soir de 2010 au restau et l'équipe obligée de dîner ailleurs, l'organisation supplémentaire nécessaire pour réguler ces beaux excès, des articles entre autres dans Le Parisien, Direct Matin, Métro France, des dossiers à monter, un cadre à tenir et des arguments à trouver pour ne pas perdre la salle, la billetterie impossible dans l'enceinte d'une mairie et le chapeau compliquant tout dispositif, les mois jalonnés de rendez-vous à la mairie, la DAC, la Région et dans les entreprises pour un budget multiplié par 7 en 7 ans, parfois des lettres amères ou attaques en règle d'artistes non programmé·es ou de ceux qui pensaient faire mieux en bossant moins, quelques ratés relationnels (snif - c'est la vie). Tout cela bénévolement, en travaillant et avec trois enfants de quatre, sept et dix ans à la maison.
Ce furent chaque année Josée Stroobants, photographe personnelle de Georges Brassens, et son époux Christian Grenan qui venaient gracieusement installer l'exposition dans le foyer de la salle Rossini, un programme papier longuement préparé, lu et relu et re-relu, les chansons méconnues apprises pour l'occasion, les heures de répétition, les affiches qu'on posait avec Philippe dans le quartier en chantant Les trompettes de la renommée, les semi-poivrots rencontrés qui avec flamme nous déclamaient Germaine Touragelle, les controverses récurrentes - « quel intérêt de chanter certaines posthumes ? » -, la file d'attente des spectateurs dans la cour de la mairie, des artistes qui donnaient leur cœur à fond, Mangez du chou-fleur (Pierre Louki /Jacques Bolognesi) entonné chaque soir par un Lionel déchaîné, la plupart du temps en compagnie de la benjamine de la troupe, Cécile Marie-Esther (ma fille), les témoignages enflammés et souvent si touchants, des rencontres fabuleuses, le partage d'heures lumineuses, de tracs intenses, de fous rires sur scène (et pas seulement), de troisièmes mi-temps homériques dans ce restau pas cher qui nous accueillait jusqu'au petit matin mais dont beaucoup critiquaient quand même la cuisine, les rescapé·es de 4h du matin après la dernière, qui se demandaient si c'était pas plus simple de ne pas se coucher et de retourner directement à la salle finir de ranger, le montage et le démontage de la sono avec Michel Leguen, Yohan Lefèvre, Adrien Vicherat puis Jean-Marie Hude, la traditionnelle visite du lendemain à Annie Montard et Patricia Linden pour leur apporter des fleurs et rendre les clefs des chambres gracieusement mises à disposition.
Ce fut la rencontre chaleureuse d'un public avec des chanteurs et chanteuses trop méconnu·es, et avec un autre répertoire lorsqu'on inséra (dès 2008) les hommages puis (en 2010 avec Rémo Gary) les compositions.
Ce fut un laboratoire, une bibliothèque vivante et chaude, passionnante et passionnée.
Ce furent aussi des deuils. Claude Duguet. Pierre Louki. Georges Péala. Christian Grenan. Mychel Havé. J'en passe (mais n'oublie pas).
Un jour, je décidai d'arrêter. Du jour au lendemain. Je sentais une corde cassée et ne savais pas encore laquelle. Le colosse aux pieds d'argile vivait de ma vie et les mannes célestes ne tombaient pas. Si un mécène me lit : oui j'aurais certainement continué (et peut-être reprendrais-je) si les moyens matériels avaient été à la hauteur de l'événement. Leur manque, à la longue, devenait épuisant.
En avril 2013, non sans avoir réservé la salle, demandé la subvention et annoncé publiquement dès janvier la reprise par une nouvelle équipe, je laissai les clefs du Grand Pan-Intégrale Brassens à qui avait accepté de prendre le relais. Patrice Jeanne, Lionel, Manu, principalement reprirent le collier. 2014 vit la dernière édition et mars 2017 verra, à la mairie du 2ème arrondissement de Paris avec Manu aux manettes, une nouvelle version, sur deux jours, le Week-end Brassens.
L'avant-dernier samedi d'octobre s'allumaient les ultimes lumières de l'automne pour neuf soirs de réjouissances. Le dernier dimanche du mois, on passait à l'heure d'hiver, et au petit matin du lundi le monde avait changé. La 1ère année, cela parut à tous une folie. La 2ème année, le festival était devenu une évidence. Maintenant qu'il n'est plus, on se sent tout bizarre le 22 octobre à Paris.
(Cet article, très exceptionnellement long pour ce blog, ne porte que sur les années que je connais le mieux, celles où je pilotais, et je n'ai pu nommer tou·tes les bénévoles. Leurs noms se trouvent ici.)
Marie Volta - 22 octobre 2016
Photo en-tête : © Philippe Decanis-Lezaud / Dimanche 24 octobre 2010, Salle Rossini, Paris 9ème, final de clôture du festival.
Le site de l'Intégrale Brassens / Quelques photos et videos
Article 6 © La Petite Marguerite